« Nous sommes dans un état durable d'instabilité du système »

Dans son ouvrage à succès « L'archipel français », Jérôme Fourquet, analyste politique et directeur du département Opinion de l'Ifop, livre son diagnostic sur la métamorphose de la société française. Invité par l'AMF05 à Gap, il a expliqué comment la dislocation de la matrice catho-républicaine entraîne un bouleversement et une « archipelisation » de la nation.

« La nation une et indivisible n'existe plus », estime le politologue Jérôme Fourquet. « Ses deux matrices fondatrices, le bloc catholique d'un côté et le bloc républicain et laïc de l'autre, ont volé en éclats et sont totalement disloqués. Vous, les maires, êtes les derniers fantassins et l'armature de la démocratie en France. Avec le maillage associatif, c'est vous qui permettez des passerelles entre les îlots de l'archipel. »

L'archipel que décrit Jérôme Fourquet dans son livre est cet éclatement de la société française en une multitude d'îles que peu de choses parviennent aujourd'hui à agréger. L'analyste politique cite pêle-mêle la déchristianisation de la société française, l'évolution de notre relation au corps (tatouage, incinération, sexualité...), la disparition de la hiérarchie entre l'homme et l'animal pour un certain nombre de Français (400.000 d'entre eux ont voté pour le parti animaliste aux élections européennes), l'effondrement de l'audience des grands médias, la fin du service militaire, la dislocation des références culturelles communes (avec une spectaculaire diversification des prénoms) ou encore la sécession des élites, avec « des cadres qui se sont complètement coupés du reste de la population ».

« Le paysage électoral se met en conformité avec l'archipelisation de notre société »

Jérôme Fourquet évoque aussi le phénomène de l'immigration. Alors qu'en 1960, il n'y avait aucun prénom arabo-musulman dans la base de données établie par l'Insee à partir des naissances en France, leur proportion atteignait 17% des naissances en 2017. « De facto, notre société est multiculturelle et cela s'est fait de façon très rapide », observe le directeur du département Opinion de l'institut de sondage Ifop.

En définitive, « le soubassement catholique-républicain ayant été disloqué, l'affrontement gauche-droite s'efface aussi », constate M. Fourquet. « L'agrégation des intérêts particuliers au sein de coalitions larges est devenue impossible. Nous sommes dans un état assez durable d'instabilité du système. Nous sommes dans la mise en conformité de notre paysage électoral avec l'archipelisation de notre société. »

« Les élus locaux ont un rôle essentiel pour remettre du ciment »

Jérôme Fourquet a été interpellé par de nombreux auditeurs, dont plusieurs maires, en particulier sur les solutions à apporter pour remédier au diagnostic qu'il a dressé. « Comment remettre du ciment ? Je n'ai pas la réponse », reconnaît le politologue. « L'hypothèse que je privilégie, ce n'est pas la Yougoslavie ou le Liban. Le réflexe le plus communément partagé, c'est celui de l'évitement. Les élus locaux ont un rôle essentiel pour remettre du ciment. La crise des gilets jaunes a montré l'état de défiance envers les responsables politiques mais il y a un type d'élus qui surnage, ce sont les maires. Il y a une forme de respect pour ceux qui donnent, qui s'engagent. Il est illusoire de penser que l'on va pouvoir revenir en arrière. Je pense que ça se joue beaucoup au niveau local, par l'invention de nouvelles solutions au plus près des gens mais aussi par l'incarnation des valeurs républicaines. Il faut réussir à agréger. »