« La fracture territoriale est un mauvais signal »

Face aux élus haut-alpins, le Pr Garrigues n'hésite pas à parler de « fracture territoriale » en égrenant les « mauvais signaux » envoyés par le pouvoir central.

Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans, a rappelé les grandes étapes de l'évolution des communes depuis la Révolution. En insistant sur le fait que la commune est « le socle démocratique » de la France. Les maires n'ont pas vraiment l'impression que la technostructure en soit consciente...

1021 démissions de maires en France depuis 2014. Un chiffre sans précédent qui en dit long sur la fronde qui règne dans les communes. Et pourtant, « c'est à travers la commune qu'a été bâtie la démocratie, c'est le socle de la République », rappelle Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans, devant les maires haut-alpins. Qui souligne aussi que la Révolution a voulu « maintenir l'idée d'autonomie fiscale pour les communes ».

Depuis lors, la commune a subi plusieurs tentatives de rationalisation et de regroupement : dans les années 70 puis avec la loi Notre, « qui a mis des contraintes à l'intercommunalité, en rupture avec l'esprit d'autonomie de la commune ».

« Les communes doivent être mieux entendues par le pouvoir central »

Le Pr Garrigues n'hésite pas à parler de « fracture territoriale » en égrenant les « mauvais signaux » envoyés par le pouvoir central : prime aux métropoles, « le TGV plutôt que les lignes secondaires » (38% des investissements pour 2% des lignes), déclin des services publics, polémique sur les 80 km/h, « qui pèsent plus sur les territoires ruraux », baisse du nombre de conseillers municipaux... « A cela sont venus s'ajouter une cure d'austérité et la suppression de la taxe d'habitation. »

Est-ce que les communes sont sacrifiées ? « A l'évidence, elles ont tout motif de revendiquer à être mieux entendues par le pouvoir central », constate Jean Garrigues. « Est-ce à dire que la commune est morte ? Bien au contraire, car elle s'appuie sur une histoire. Le maire reste la personnalité préférée des Français. C'est l'incarnation de notre démocratie. »

« Il y a toujours une défiance de l'Etat envers les élus locaux »

Les maires haut-alpins sont inquiets. René Moreau, maire de Veynes, constate « le regard bienveillant de nos administrés », mais il se demande « si on n'est pas en train de nous faire un sort. On n'osera pas toucher à la commune mais on la dépouillera de ses élus ». Frédéric Robert (Monêtier-Allemont) observe que « l'agrégat des mécontentements se vérifie tous les jours dans nos mairies ». Christian Hubaud (Pelleautier) appelle même à « entrer en résistance et en désobéissance. La loi Notre a créé une inégalité dans nos territoires. Ça commence par les transports scolaires, on va continuer avec l'eau. Il y a toujours une défiance de l'Etat envers les élus locaux. Il faut désobéir ! L'eau potable, nous ne la donnerons pas ! »

Pour Jean Garrigues, « il y a une volonté de la technostructure de simplifier les mécanismes. On est dans un moment particulier où le pouvoir central est surpuissant et a cette volonté de transformation gestionnaire pour passer de l'ancien au nouveau monde. Il y a des gens dans la technostructure qui ne vous comprennent pas. Il faut qu'il y ait un rapport de force qui s'instaure. Il ne passe pas forcément par la confrontation mais par l'influence. »

« Ce que nous voulons, c'est garder notre liberté »

Ce « sentiment des élus de ne pas être entendus, c'est un déni de démocratie », considère Jean-Michel Arnaud, président de l'AMF 05. « Comment se fait-il que le président de la République ait perdu le fil de ses territoires ? L'eau, certaines communes préfèrent la confier à l'intercommunalité, d'autres veulent la conserver. Ce que nous voulons, c'est garder notre liberté. Nos administrés savent bien ce qu'un maire et son équipe font pour garder l'eau au prix le plus juste. De même, pourquoi retire-t-on la formation professionnelle aux Régions ? J'appelle à renouer le dialogue car le risque, c'est la montée des populismes dans les territoires. »

Vice-présidente nationale de l'AMF, Rachel Paillard donne une illustration de cette rupture : « Quand nous avons l'écharpe, nos administrés nous donnent le regard de la reconnaissance. C'est quand on pousse la porte de la préfecture ou de la sous-préfecture que les choses changent. Souvent, on a l'impression que notre poids dépend de la population de notre commune. »

Pour Bernard Allard-Latour (Remollon), « on se plaint de nos technocrates, car on se bat contre des murs. Mais les politiques n'ont plus le poids qu'ils avaient. Essayez de reprendre le manche ! » lance-t-il par conséquent aux parlementaires haut-alpins.